Accès à l’information au Bénin : Les dessous du devoir de réserve dans l’administration - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde
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Accès à l’information au Bénin : Les dessous du devoir de réserve dans l’administration

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La liberté d’expression est un droit constitutionnel. L’exercice de ce droit butte parfois sur des blocages parmi lesquels se trouve le devoir de réserve brandi à tout vent par des agents du service public. Le droit d’accéder à l’information du service public par tout citoyen, notamment les journalistes, se trouve ainsi entravé par une attitude qui relève de l’obligation de discrétion professionnelle exigée de l’agent de l’administration publique. Tout cela baigne dans une méconnaissance des textes, notamment le Code de l’information et de la communication. En ce mois de mai où nous célébrons la liberté d’expression dans le monde, Educ’Action fait le point du droit d’accès à l’information dans cette série de parutions sur le devoir de réserve.

Commençons par un cas vécu. « Le journaliste a demandé l’information par écrit auprès d’une structure publique. Il est reparti dans l’espoir qu’on lui notifie les réponses. Seulement son attente a été vaine. Pire, les informateurs ont argué que le journaliste est venu leur mettre la pression. Le journaliste, en son temps, s’est plaint à l’Observatoire de la Déontologie et de l’Ethique dans les Médias (ODEM) et nous sommes allés voir les responsables de la structure concernée. Ils nous ont répondu qu’ils étaient beaucoup bousculés par une activité en cours et que le journaliste tenait, lui, à avoir coûte que coûte l’information. Beaucoup ne savent pas que les exigences du travail du journaliste demandent que les citoyens et même les travailleurs de l’administration changent leurs comportements. Le journaliste qui est dans un quotidien, a besoin de l’information au quotidien. A partir de cet instant, si vous ne lui donnez pas l’informant prétextant que vous avez trop à faire, le journaliste ne pourra pas toujours vous comprendre, il ne pourra pas toujours vous attendre et donc, il n’est pas un enquiquineur. Quand certains s’asseyent dans leurs fauteuils pour suivre les informations, c’est bien quelqu’un qui s’est évertué à collecter les informations. Le journaliste a besoin de l’information et si vous êtes dans une structure publique, vous avez le devoir de rendre disponible l’information et non la confisquer. On s’est assis avec l’organe de régulation [HAAC, ndr], les associations professionnelles et le journaliste. L’agence judiciaire était aussi un peu mêlé à tout cela. On a réglé l’affaire à l’amiable. Le journaliste a été un peu satisfait ». Cette histoire narrée par Guy Constant Ehoumi, ancien président de l’Observatoire de la Déontologie et de l’Ethique dans les Médias (ODEM) reste donc un fait éloquent de la situation en débats. Rencontré le 24 avril 2019, en pleine campagne pour la désignation du représentant de la presse écrite dans l’actuelle mandature de la Haute Autorité de l’Audiovisuelle et de la Communication (HAAC), l’homme a peint un tableau peu reluisant de l’accès à l’information au Bénin. Le devoir de réserve en est une des causes.

Le devoir de réserve sous ses différentes facettes

« J’ai un droit de réserve ! J’ai une obligation de réserve ! J’ai un devoir de réserve ! ». Bref, c’est à une véritable cacophonie qu’on assiste autour de cette terminologie de réserve quand on s’approche des fonctionnaires. C’est dire comment la notion est brandie comme ‘’bouclier anti-parole’’ pour fuir les micros des journalistes. Prosper Koukoui, conseiller technique à la fonction publique et à la modernisation de la fonction publique au Ministère du Travail et de la Fonction Publique (MTFP), penche plutôt pour le devoir de réserve. Rencontré le 06 janvier 2020, il fait la lumière sur ce concept. « C’est un devoir parce que cela s’impose à l’agent. C’est ce qui cadre avec les principes de droit. Les obligations sont liées à des droits. Dans les obligations, il y a un certain nombre de devoirs », explique le cadre vêtu d’une tenue locale. Il ajoute, par ailleurs, « ce n’est pas parmi les obligations de l’agent de l’État, mais c’est un construit jurisprudentiel. Les deux obligations qui s’imposent à l’agent en la matière sont l’obligation de discrétion professionnelle ou l’obligation de secret professionnel. Le devoir de réserve s’attache à l’obligation de discrétion professionnelle. La discrétion professionnelle est pour les agents de l’État, le secret professionnel est pour les médecins, les avocats, ceux qui ont une fonction spécifique particulière qui donne accès à des informations liées au statut, à l’intimité de leurs agents, patients, clients ». De la lecture de Guy Constant Ehoumi, « C’est une disposition que l’on met en place pour empêcher qu’un travailleur, dans une administration, ne divulgue certaines informations qui devaient être gardées secrètes au sein de ladite administration ». Un autre cadre de l’administration publique, une dame cette fois-ci, se prononce sur la question. Conseillère technique juridique du Ministère des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle (MESTFP), Hortense Bada soutient que l’obligation de réserve est celle qui est faite à tout fonctionnaire de s’abstenir de tout propos pouvant mettre grièvement en cause l’institution qu’il sert. C’est un devoir qui consiste pour le fonctionnaire dans l’intérêt du service public, à mesurer les mots et la forme dans laquelle il les exprime. Il est donc nécessaire de voir le lien entre liberté d’expression et devoir de réserve.

Devoir de réserve et liberté d’expression, selon le statut de la fonction publique

« L’obligation de réserve n’a donc pas une origine légale. Elle est d’origine jurisprudentielle parce qu’elle a été proposée par le juge administratif », affirme la conseillère juridique. En effet, dans le statut général de la fonction publique, loi N°2015-18 du 23 février 2017, il est inscrit à l’article 19 : « Indépendamment des règles instituées par la loi pénale en matière de secret professionnel, tout agent de la fonction publique est lié par l’obligation de discrétion professionnelle pour tous les faits et informations dont il a connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions. Toute communication contraire aux règlements, de pièces ou de documents de service à des tiers ainsi que tout détournement desdits documents sont interdits. En dehors des cas expressément prévus par la réglementation en vigueur en matière d’accès aux documents administratifs, l’agent de la fonction publique ne peut être délié de cette obligation de discrétion ou dispensé de l’interdiction édictée par l’alinéa 2 ci-dessus qu’avec l’autorisation du ministre, du maire ou du président de l’institution de la République dont il relève ». La même loi à l’article 22 stipule : « L’obligation de discrétion professionnelle prévue à l’article 19 de la présente loi ne s’applique pas à la dénonciation dans les conditions fixées par la loi pénale, des crimes ou délits dont l’agent de la fonction publique a pu avoir connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, ni aux témoignages qu’il peut être appelé à rendre à la demande d’une autorité judiciaire. Pour chaque administration ou service, le ministre ou le maire prend toutes les dispositions utiles à la préservation du secret des documents de service ; il fixe notamment les règles de communication desdits documents aux personnes étrangères, à l’administration ou au service ». Quid alors de la liberté d’expression des agents de la fonction publique ? Pour cela, l’article 35 du même Statut de la fonction publique affirme : « L’agent de la fonction publique jouit de la liberté d’opinion, de parole, de presse, de correspondance, de réunion, d’association et de manifestation. L’État ou la commune assure les conditions matérielles nécessaires à la jouissance de ces droits ». Qu’en est-il du Code de l’information et de la communication.

L’accès à l’information et la liberté d’expression dans le Code de l’information et de la communication

Avec ces 344 articles, la loi N°2015-07 du 20 mars 2015 portant Code de l’information et de la communication en République du Bénin fait le tour de la question, notamment le chapitre 4 du titre 2. L’article 71 stipule : « Tout agent ou organisme qui refuse le droit d’accès aux sources publiques d’information doit en justifier la décision. Toute entrave aux droits d’accès à l’information est passible de sanction administrative et/ou judiciaire ». Ensuite, l’article 73 : « Les agents peuvent dévoiler et fournir des preuves de tous comportements illicites dans l’administration publique. Sauf dénonciation calomnieuse, ils n’encourent, ce faisant, aucune sanction administrative ou mesure disciplinaire ». Il existe aussi des conditions de restriction de l’accès à l’information que nous aborderons prochainement. Ce premier numéro s’est voulu l’occasion de donner un aperçu du contexte légal de la liberté d’expression et de l’accès à l’information au regard du devoir de réserve. De nombreux aspects restent encore à aborder car nul n’est censé ignorer la loi.

Adjéi KPONON

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