Voici mon conte !
Le matin des noces de son père, un petit bout d’homme, pas plus haut que trois sapotilles, son balai de latanier à la main, propretait le devant de sa chaumière ainsi que sa cour.
Un esprit surnaturel vint soudain se loger dans sa tête et lui dit que la future épouse de son père, qui avait l’apparence trompeuse d’une femme fort belle était, en vérité, une ânesse. Pour en avoir la preuve, il lui conseilla de lui astiquer les fesses avec un nerf de bœuf pour qu’elle rue et retrouve sa vraie nature.
C’était une bien terrible révélation pour un petit bonhomme pas plus haut que trois citrons verts qui ne trouvait rien d’autre à faire que de chanter tout en balayant :
– M ap propte o !
Men pouki m ap propte ?
Je nettoie o !
Mais à quoi me sert-il de nettoyer ?
Il fut bien tenté d’en parler à son père, et peut-être même lui en glissa-t-il deux mots : peine perdue ! Le père était devenu un morceau de sucre qui fondait sous la langue de sa promise.
– M ap propte o ! Men pouki m ap propte ? continua de chanter le petit bonhomme pas plus haut que trois cirueles. Il subtilisa le nerf de bœuf de son père et le cacha sous sa vareuse.
Au moment des réjouissances, les invités de la future épouse envahirent la cour et la maison ; ils étaient plus nombreux que ceux du futur marié. Ils buvaient, ils mangeaient, ils riaient comme des baudets.
C’est alors que le petit bonhomme pas plus haut que trois pois tendres, se plaça derrière la mariée et lui astiqua les fesses – vloup ! – avec le nerf de bœuf.
Blakadap ! Instantanément la mariée rua des quatre pattes. Campé bravement au milieu des invités, le petit bonhomme devenu grand comme un mapou fromager, lança, avec autorité, des coups de fouets sur les côtés, devant, derrière, en haut en bas : vloup ! vlap ! vlip !
La réception se transforma en écurie avec des braiements, des hennissements, des hihans, des blakadap. Chaque coup de fouet sur les fesses d’un invité le transformait en âne. Toute cette belle compagnie de bourricots ne cherchait qu’à fuir. On s’entrechoquait, on se bousculait, on s’entravait dans un brouhaha cocasse.
Lorsque, dans un colossal nuage de poussière, tous les ânes eurent disparu, le petit bonhomme et son père retrouvèrent, tapi dans un coin de la maison et tout penaud, un tout petit âne que ses toutes petites pattes ne lui avaient pas permis de fuir.
C’est ce tout petit âne-là qui peupla l’île de tous les ânes qui, depuis lors, portent les fardeaux des paysans à travers les mornes plaines d’Haïti.
Voilà mon conte !