Employabilité et entrepreneuriat des diplômés de l’enseignement technique : Survivre vaille que vaille, en attendant le secours de l’État - Journal Educ'Action - Éducation au Bénin et dans le monde
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Employabilité et entrepreneuriat des diplômés de l’enseignement technique : Survivre vaille que vaille, en attendant le secours de l’État

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L’une des priorités de l’actuel Gouvernement en matière d’éducation est la promotion de l’Enseignement Technique et la Formation Professionnelle (ETFP). Inverser la courbe en portant à 70% le taux des apprenants de ce sous-secteur technique contre 30% dans l’Enseignement Secondaire Général, reste désormais le rêve caressé par le régime de la Rupture. En témoignent l’adoption et l’endossement de la Stratégie nationale de relance de l’Enseignement, Technique et la Formation Professionnelle qui a fait l’objet de deux tables rondes. Mais pour l’heure, en attendant le salut, quelle est la situation réelle de l’employabilité de ceux déjà formés et sortis de ce sous-secteur considéré comme la panacée pour contourner le fort chômage des jeunes ? Educ’Action se préoccupe de la question en partageant avec vous le quotidien de quelques jeunes techniciens déjà sortis.

Nous sommes au quartier Womey, dans la commune d’Abomey-Calavi, département de l’Atlantique. Il sonnait 9 heures passées de 37 minutes, ce mercredi 16 septembre 2020. Sur un chantier en pleine construction à vol d’oiseau des installations du gazoduc de Maria-gléta, germe de terre un bâtiment composé de trois (03) chambres avec douches, un salon, une cuisine, un magasin et un petit espace de détente en cours de finition. Les jeunes staffeurs recrutés sur ce site, à l’œuvre, redoublent d’ingéniosité et de créativité pour embellir cette résidence privée. Les électriciens, pas loin des staffeurs, s’investissent également pour rehausser l’éclat des bâtisses à travers les lumières et lampes de couleurs en cours d’installation. Amour Noudogbessi Adankpétodé et Lévi Ozias Toton, âgés respectivement de 30 ans et 22 ans ont reçu ce mandat pour finir les installations électriques. Tous deux, ils ont fait une formation technique en électrotechnique. Aujourd’hui diplômés d’un Bac F3, les deux jeunes gens mélangent amour, passion et détermination pour illuminer les maisons et chantiers pour lesquels ils sont sollicités. En dépit d’autres opportunités qui s’étaient offertes à eux, ils ont résolument fait l’option de se perfectionner dans l’électricité bâtiment, leur domaine de compétences, afin de se garantir un avenir meilleur. Pas trop loin des électriciens, c’est Olivier Zanmènou qui se laisse découvrir dans sa spécialité. Féru de la fabrication des matériaux en bois, son passage dans l’armée et ses quelques années dans l’enseignement ne l’ont pas empêché de s’illustrer dans la menuiserie qu’il affectionne si tant. A près de 40 ans, Olivier parvient à subvenir aux besoins de sa petite famille grâce à ce métier qu’il exerce de tout son cœur. Pour lui comme pour les autres, le choix porté sur l’enseignement technique et la formation professionnelle ne s’est pas fait au hasard.

Des faibles opportunités qu’offre l’enseignement général…

« L’âge évolue », dira Amour Noudogbessi Adankpétodé, pour justifier sa décision, un jour, d’aller vers l’enseignement technique et la formation professionnelle. Issu d’une famille modeste, il se résout donc à faire l’expérience de l’enseignement technique pour se prendre rapidement en charge. « Je faisais l’enseignement général mais compte tenu des difficultés que je rencontrais, le choix a été vite fait », précise-t-il. L’autre raison qu’il a évoquée, semble bien être partagée par les autres jeunes du chantier. « J’ai des aînés qui ont fait l’enseignement général mais quand ils viennent au village, on ne voit rien comme fruit, au contraire…», a-t-il laissé entendre. Olivier Zanmènou, dira à sa suite : « J’avais aussi des frères qui ont fait l’enseignement général mais la plupart du temps, ils deviennent des enseignants, des vacataires ou maîtres des écoles privées et rien de plus. C’est au vu de tout cela que j’ai opté pour le lycée ». Autrement, pour ces deux jeunes devenus aujourd’hui techniciens professionnels, l’enseignement général ne garantit pas systématiquement un emploi surtout qu’il n’y a pas un domaine de spécialisation et de professionnalisation. Ainsi, dès lors que l’occasion s’est présentée au jeune Amour, son choix a été vite fait. « On m’a proposé de faire le lycée et j’ai accepté. On m’a présenté les avantages de chaque filière et mon choix s’est porté sur l’électricité parce que déjà au village, je touchais un peu à ça. J’aidais ceux qui ont des difficultés à réparer leurs lampes sans avoir été à l’école », confie-t-il à Educ’Action. Son jeune frère avec qui il forme son binôme de travail depuis leur sortie de l’école, avance sans trop discourir : « c’est l’amour de la chose qui m’a poussé à aller au lycée. J’avais un don pour l’électricité ».

L’ETFP, gage d’autonomisation financière

Vêtu d’un pantalon ‘’Jeans’’ assorti d’un tee-shirt noir, Olivier Zanmènou semble satisfait de son travail, tant ceci présente des avantages pour lui. Depuis le lycée, le peu de connaissances pratiques acquises lui procurait déjà un revenu financier, à en croire ses propos. Avec ses outils de travail comme le marteau, la scie, le rabot manuel, le mètre, Olivier Zanmènou pouvait déjà fabriquer des tabourets, des auvents, de petites caisses et autres qu’il met en vente à 1.000 Francs CFA, 2.000 Francs CFA, etc. Amour Noudogbessi Adankpétodé affirme, à son tour, que son indépendance financière a été acquise grâce à son statut d’électricien depuis le lycée. Dans son blouson bleu foncé griffé du nom d’une structure bien connue du domaine, l’homme au teint légèrement clair atteste avoir connu ses débuts de profession pendant qu’il était encore lycéen. « Au cours de la formation, je faisais déjà de petits travaux à des clients qui me sollicitaient. On se débrouillait avec les petites notions acquises à l’école. Grâce à nos équipements de base à savoir le marteau, le burin, la lampe témoin, le tournevis, le multimètre, la perceuse, le niveau, la taloche, on pouvait déjà placer des lampes dans les entrées couchées ; on changeait les lampes grillées contre de petites sommes », a-t-il témoigné à Educ’Action. Selon lui, les revenus lui permettaient de subvenir à ses besoins et même de payer une partie de sa contribution scolaire parfois. Ce qui ne serait pas le cas, de l’avis de Lévi Ozias, avec un Bac de l’enseignement général où aucune issue n’est visiblement possible à ce niveau de formation, si ce n’est la poursuite des études universitaires avec les difficultés sur les campus. « Je suis très jeune, c’est vrai mais déjà, je mets petitement de l’argent de côté pour pouvoir me réaliser », informe-t-il. Comme tout métier, ceux de l’enseignement technique ne sont pas sans difficultés. Ces trois jeunes gens en rencontrent d’ailleurs dans leurs domaines respectifs.

Des difficultés rencontrées…

« Comme difficulté chez moi, c’est que les gens ne me font pas confiance à cause de mon jeune âge », lance Lévi Ozias, la vingtaine. Il s’explique : « Quand on me voit, on me juge trop petit, trop jeune pour me confier un travail. Mon physique ne les convainc pas. Donc, pour prendre un marché, c’est difficile. Il préfère confier le travail à quelqu’un qui est plus âgé que moi. Pour eux, l’âge détermine la qualification ». Cette difficulté, Olivier Zanmènou l’a également rencontrée pendant ses débuts de carrière en menuiserie. « Tout au début, les gens n’avaient pas vraiment confiance en moi à cause de mon âge. Ils hésitent à me confier leurs travaux », martèle-t-il à Educ’Action. L’autre difficulté notée par ces jeunes techniciens émane de la clientèle. « Il y a des clients qui refusent de payer le montant que tu demandes. Ils trouvent que c’est déjà cher et là, il faut longtemps bavarder avant d’être compris », ont-ils relevé à l’unanimité. Amour, quant à lui, ne marchande pas avec les clients quand ces derniers ne font pas de bons choix en matière de matériaux. « Quand j’exige un matériel qui ne m’est pas donné, je refuse. J’estime que je ne peux pas faire un travail qui va durer deux jours et se gâter par la suite. Si le client refuse d’acquérir des matériaux qui semblent appropriés selon moi, je ne prends pas le marché. Parce que cela peut ternir mon image. Quand je propose quelque chose, je suis certain que même après 10 ans, cela peut toujours fonctionner », a-t-il expliqué. Parfois, ce sont les clients qui renoncent à ce qui a été réalisé, sous prétexte que cette réalisation est bien différente de celle qu’ils ont commandée. Olivier qui en a connu dans l’exercice de son métier raconte : « Il arrive que des clients te commandent des choses et en retour, ils disent que ce n’est pas ce qui a été commandé et là, tu es obligé d’en refaire d’autres pour les satisfaire. C’est quand tu trouves quelqu’un d’autre que tu peux vendre la première réalisation, mais à un prix inférieur au prix normal ». En ce qui concerne le confort que procure leur travail, les jeunes techniciens n’en profitent pas aisément. La cause, le mode de payement des clients. « Quand vous vous accordez sur un prix pour le travail, le client ne remet pas les trois quart de ce qui est demandé. L’argent vient donc en détail. Finalement, on n’arrive pas à rassembler la totalité de l’argent pour réaliser quelques choses de concret. Mais malgré cela, je peux dire que ce n’est pas mal. On s’en sort toujours », ont reconnu, sans une autre forme de concertation, Amour et Olivier, respectivement technicien en électricité et technicien en menuiserie. Les mauvais coups de marteau, de légères électrocutions, des blessures causées par un mauvais usage de la scie, sont autant de risques du métier soulevés par ces professionnels. A en croire chacun, la formation au sein d’un établissement scolaire, qu’il soit public ou privé, est un avantage. En témoigne la qualité de leurs réalisations.

La qualité principale marque des techniciens

Ce qui différencie le travail fait par ces techniciens et celui fait par les jeunes formés sur le tas, c’est bien la qualité des ouvrages. « La différence, c’est que les autres ne maîtrisent pas forcément toutes les normes exigées dans l’emplacement de tel ou tel fil », avance Amour Noudogbessi Adankpétodé, tout en s’occupant de ses installations. A l’entendre, on déduit que le technicien formé à l’école sait avec précision ce qui doit être utilisé à tel ou tel autre endroit. Il peut également détecter plus facilement la cause réelle d’un problème donné, ce qui n’est pas forcément le cas des personnes formées sur le tas. « Les clients sont séduits quand ils entendent que tu sors du lycée. Ils savent que la qualité y est », atteste, tout serein, Olivier Zanmènou qui n’a pas manqué d’indexer la responsabilité de l’État pour l’employabilité des jeunes techniciens.

De la responsabilité de l’Etat…

La qualité y est, mais l’Etat emploie-t-il les génies formés dans ces écoles ? A quelle fin le gouvernement valorise-t-il l’Enseignement Technique et la Formation Professionnelle ? Les jeunes sont là, bien formés, pourtant l’Etat emploie la main d’œuvre étrangère pour la réalisation de ses travaux. Quand est-ce que nos enfants pourront réellement prouver de quoi ils sont capables ? Ces interrogations ont été formulées lors d’une discussion fortuite, par un cadre de l’Université d’Abomey-Calavi, bien au cœur de cette évidence. La réalité est sous nos yeux. « Pour le moment, les gros marchés sont donnés aux étrangers, pourtant nous avons été formés pour servir le pays. Mais nous espérons que cela changera un jour », fait observer Olivier Zanmènou. Conscients de cette triste réalité, ces techniciens ne manquent pas d’encourager leurs jeunes frères à leur emboîter le pas dans l’enseignement technique. « Même si l’Etat ne nous engage pas, il y a toujours des citoyens lambda qui construisent chaque jour que Dieu fait. Les citoyens auront toujours besoin des techniciens bien formés, peu importe le domaine. L’enseignement Technique et la Formation Professionnelle nourrit son homme », diront-ils pour susciter l’envie dans le rang de leurs jeunes frères et sœurs.

Estelle DJIGRI

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