La gestion du BEPC 2016 continue de soulever des remous au sein de l’opinion publique. Certains parents, directeurs d’école, et responsables académiques ont encore du mal à admettre l’échec de leurs candidats à cet examen dont le taux de réussite est estimé à 16% au plan national. Pour beaucoup, la Direction des Examens et Concours (DEC) reste le principal responsable de ce qu’ils qualifient de « scandale du BEPC 2016 » ! Votre journal Educ’Action, dans une démarche d’investigation qui a duré deux mois environ, a scruté les moindres détails de cette polémique, donné la parole aux acteurs et promené ses projecteurs dans les coulisses de l’organisation du BEPC 2016. Une enquête inédite, qui nous a conduits de Porto-Novo à Allada, de Cotonou à Ouidah pour éclairer nos aimables lecteurs. BEPC 2016, voici ce qu’ils n’ont jamais dit !
Vendredi 23 Septembre 2016. Salle de conférence de la Tour administrative du Ministère des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle à Cotonou. Une conférence de presse particulière. Le Directeur des Examens et Concours du Secondaire décide de dissiper les ténèbres qui enveloppent les résultats du BEPC 2016. D’un ton péremptoire et avec le magister digne de son rang de professeur des Universités, il déclare : « Il n’y a pas eu permutation des coefficients mais juste une application stricte des dispositions de l’arrêté N°2012/267/MESTPRIJ/CAB/DC/SGM/DES/DIP/DEP/SA du 12 Juin 2012 ». Il poursuit : « on n’improvise pas en matière d’organisation d’un examen en l’occurrence, un examen national. Ceux qui mettent en cause les résultats issus de cet examen, le font par méconnaissance des textes.»Voilà qui devrait situer les uns et les autres. Hélas, loin s’en faut. Les grognes ont repris de plus belle ! En réalité, que s’est-il passé, pour que le DEC, en vienne à faire une conférence de presse pour s’expliquer ?
Les faits …
Au BEPC, d’une façon générale, les apprenants ont le choix entre deux séries : la série ‘’Moderne Long’’ (ML) pour les lettres et la série ‘’Moderne Court’’ (MC) pour les sciences. A chaque matière, correspond un coefficient bien déterminé. Pour les candidats qui choisissent la série ML, un coefficient de 3 points est appliqué à leur première langue vivante alors que les mathématiques et la deuxième langue vivante sont coefficiées par 2. Il est important de préciser que depuis le dépôt des dossiers, on exige aux candidats dès Octobre de faire leur choix en fonction de leur compétence à aborder les sciences ou les lettres. A la grande surprise du monde scolaire, certains candidats inscrits pour la série ML ont vu leur première langue coefficiée par 2 et leur deuxième langue coefficiée par 3. Mécontents, les parents d’élèves ont réagi pour demander réparation du préjudice causé à leurs enfants. C’est donc en réponse à cette réaction que le DEC a fait sa sortie médiatique, d’abord par une conférence de presse, ensuite sur le plateau télévisé de Canal3. Au regard de la gravité de la situation, nous avons interrogé la législation scolaire.
Que disent les textes ?
La législation scolaire a, en effet, évolué en la matière de 1984 à 2012. Le premier arrêté dans ce domaine est le N° 609 du 1er juin 1984. Nous étions encore dans les séries classiques. Le Bénin a ensuite connu les arrêtés N°0026 du 27 décembre 1995, et N° 077 du 11 Juillet 2005 qui sont sans équivoques sur la question de la première langue vivante et de la deuxième langue vivante. Comme l’indiquent les tableaux ci-contre, une hiérarchisation de la 1ère et 2ème langue vivante est clairement établie. En 2012, un nouvel arrêté a été pris. L’arrêté N° 267 du 12 juin 2012. Ce dernier arrêté n’a, nulle part, mentionné 1ère langue vivante ou 2ème langue vivante. Par contre, on peut lire à l’article 2 que les différentes épreuves de chaque matière sont indexées des coefficients indiqués dans le tableau suivant :
A la lecture de cet arrêté, et vu que l’Anglais est coefficié par 3 quelle que soit sa position, on peut conclure notre enquête en disant que le DEC est suffisamment fondé à dire qu’ « il y a juste eu une application stricte des dispositions de l’arrêté N°2012/267/MESTPRIJ/CAB/DC/SGM/DES/DIP/DEP/SA du 12 Juin 2012. » Non ! rétorquent les acteurs du système…
Des témoignages…
A la rencontre des acteurs de l’école qui souhaitaient dire leur vérité sur la question, Educ’Action a fait une belle moisson. Pour Darius Awohouédji, Président du Patronat des promoteurs privés d’enseignement secondaire, « si nous nous fondons en un premier temps sur les déclarations du DEC, lui-même, l’Anglais est coéfficié par 3 quelle que soit sa position de première ou deuxième langue. Déjà à ce niveau, le coefficient n’est pas appliqué à tous les candidats de la même manière. Nous continuons, au niveau du Patronat, de recenser ces cas que nous envisageons mettre à la disposition du DEC. Mais de l’autre côté, le texte appliqué est lui-même si ambigu que nous pensons qu’il faille aller à une relecture pour éviter d’induire les candidats en erreur ». Hyppolyte Gansè, Fondé du Complexe Scolaire le Mercure, déclare, quant à lui, que « nulle part dans l’arrêté 2012, il n’a été question de première et deuxième langue vivante. Le combat n’est donc pas encore fini. Nous irons jusqu’au bout », a-t-il martelé visiblement déterminé. De ces allégations, on peut alors déduire que l’application stricte de l’arrêté 2012, devrait amener la Direction des Examens et Concours à écrire sur les relevés de notes, les matières indexées et non 1ère ou 2ème langue vivante. Franck Ahodo, promoteur du complexe scolaire La Marielle, comme pour corroborer les affirmations de son collègue Gansè, témoigne : « si les choses se passaient dans les règles de l’art, les trois candidats qui ont échoué chez moi allaient décrocher leur BEPC. Je suis profondément déçu. » Sa déception est partagée par Françoise Olou et sa mère Rachel rencontrées à Agla dans le cadre de cette enquête, profondément bouleversées. Pour la maman comme pour la fille, ce BEPC était déjà un acquis n’eût été l’erreur humaine ! Mais elles continuent de croire que quelque chose est possible. Devant un tel désarroi des populations, Educ’Action a voulu savoir ce que pensent les responsables même de la Direction des Examens et Concours. Ce fut une muraille. Mais comme les obstacles ne sauraient arrêter notre élan, nous avons fini par recevoir, au bout de quelques appels téléphoniques, les contacts de Mme Borna Brigitte, épouse Tigri, professeur certifiée à la retraite, ancien chef service administratif à la DEC et Germain Amoussouwi, professeur de mathématiques à la retraite, précédemment en service à la DEC, en tant que chef division Examens Techniques. Dans sa retraite paisible à Porto-Novo, Borna Brigitte Tigri qui connaît la maison pour y avoir servi, déclare que sa déception est totale : « j’ai été déçue de savoir que les autorités de notre ministère savent qu’il y a quelque chose de mal qui s’est passé au niveau du BEPC, mais ils ne veulent pas qu’on en parle. Ça me fait très mal que cette masse d’enfants soit sacrifiée aussi facilement pour une succession d’erreurs de la Direction des Examens et Concours. Je reste néanmoins convaincue que si le gouvernement le souhaite, cette situation peut être corrigée. Car la souffrance des parents est énorme ! » De Porto-Novo, nous avons pris la direction d’Allada, ville située à une soixantaine de kilomètres de Cotonou, pour y rencontrer Germain Amoussouwi. Dans son jardin natal, l’homme de grande taille aux cheveux grisonnants, nous a accueillis avec beaucoup de joie. Pour ce retraité très actif dans les grognes et mouvements de défense des libertés, l’espoir était déjà perdu parce que les finances aussi parlent dans ce dossier pour demander aux parents et aux victimes de se taire définitivement sur le sujet. « C’est une erreur informatique qu’on doit nécessairement corriger afin de disposer du futur. Car voyez-vous, nous sommes déjà près du BEPC 2017. Que va-t-il se passer ? », a-t-il lâché, inquiet. Si certains témoignages sont catégoriques sur l’erreur de la DEC, d’autres, moins virulents, tentent d’équilibrer. Cyrille Kokou Tchinkoun est conseiller pédagogique à Ouidah. Rencontré au CEG 1 de Ouidah, il a dit ne pas avoir connaissance du problème. Pour lui, c’est une question qui concerne d’abord les candidats en ML. « Ce que je pense, c’est que nous devons vérifier tout ce qui se dit et travailler à rendre justice aux candidats victimes si tant est qu’il y a mal donne. » Pour son collègue Chéou Jean Olivier de Pahou, « le problème vient du fait que l’arrêté de 2012 a voulu imposer l’Anglais à tous les candidats comme coefficient 3. Il n’y a donc plus de 1ère ou 2ème langue avec cet arrêté. C’est ce que beaucoup n’ont pas compris. Mais même dans ce cas, la communication a souffert de vulgarisation. », a-t-il clarifié. Maxime Okoundé, Secrétaire Général du Front d’actions des trois ordres de l’enseignement, est allé dans le même sens mais à quelques nuances près : « Je crois que ceux qui ont subi une mauvaise application des coefficients ont la possibilité de réclamer leurs droits, puisque les procédures existent dans ce sens. Pour moi, ce sont des erreurs mineures qui ne peuvent pas démentir les statistiques du BEPC. Car de la même manière que certains peuvent être déclarés admis après réclamation, d’autres peuvent aussi échouer. On ne saurait donc lier d’office les échecs massifs à cette erreur marginale, qui, du reste, peut être corrigée ! »
La contradiction sur les épreuves composées
Ces témoignages aussi divers que variés, ont attiré notre attention sur les épreuves composées par les candidats au BEPC 2016. En effet, pour que l’arrêté de 2012 soit strictement appliqué, il eût fallu que la Direction des Examens et Concours fusse en bonne intelligence avec les coefficients des matières, inscrits sur les épreuves à composer par les candidats. On devait donc pouvoir lire sur les épreuves proposées aux candidats pour l’anglais coefficient 3 que ce fut en première langue ou en deuxième. L’épreuve ci-contre témoigne à suffisance de la confusion semée dans les esprits des candidats lorsque même en première langue vivante, la Direction des Examens et Concours inscrit sur les épreuves, Anglais, coefficient 2. En recoupant alors les informations, on comprend que le Patronat des Promoteurs d’établissements privés n’a pas tort. Mieux, lors des dépôts des dossiers, la pratique n’avait pas changé. Les établissements, depuis l’achat des quittances, jusqu’à la réception des dossiers, avaient présenté les candidats en fonction de leur aisance à aborder l’anglais, l’allemand ou l’espagnol, selon leurs compétences. Ainsi, les plus lucides en Allemand et en Espagnol ont choisi ces matières comme première langue et ont été encouragés par leurs administrations scolaires à donner le meilleur d’eux-mêmes dans ces disciplines pour compléter le déficit que les sciences et peut-être la deuxième langue vivante leur causeraient. Ils étaient d’autant plus convaincus que la jurisprudence de l’application de l’arrêté de 2012 à 2015 les confortait dans cette position. En témoignent les relevés de notes des années 2014 et 2015 que nous avons obtenus. Pourquoi alors a-t-on senti la nécessité de changer les règles du jeu pendant le jeu ? Qui est donc responsable de la confection des épreuves ?
La responsabilité personnelle du DEC engagée !
Terrorisée par la peur de se voir persécutés, certains cadres de l’administration que nous avons interviewés ont requis l’anonymat. Ils sont unanimes à dire avoir vraiment peur pour leur vie et leur sécurité. Sous anonymat, ils ont néanmoins expliqué que seul le Directeur des Examens et Concours a la clé de la chambre noire où se confectionnent les épreuves. C’est donc le directeur qui inscrit les coefficients sur les épreuves. Comment peut-on alors expliquer que la première autorité en charge, comme elle le dit si bien, de l’application stricte de l’arrêté 2012, embrouille les jeunes candidats, innocents, qui ne demandent qu’une seule chose : l’égalité des chances dans l’accès au savoir. Pour Educ’Action, il y avait des raisons certaines à ce dysfonctionnement. En créditant de bonne foi le DEC, Educ’Action a introduit une demande d’interview le 11 Octobre 2016 pour écouter la version officielle du mis en cause. Notre surprise fut grande !
Le refus d’accès à l’information par le DEC à Educ’Action …
Enregistré au Secrétariat de direction sous le numéro 1587 du 11 octobre 2016, ce courrier que nous avons initié pour vider la question avec le DEC est resté sans suite. Deux semaines plus tard, Educ’Action a décidé d’appeler directement le DEC pour avoir une suite. Il sonnait environ 15h 10 mn, ce soir d’octobre ! Connaissant la lourdeur de nos administrations, nous avons tôt fait de conclure qu’il n’a pas été informé ! Erreur ! La conversation que nous avons eue a été des plus décevantes. A l’autre bout de fil, le DEC qui a décroché après trois vaines tentatives déclare : « Vous parlez à Kakpo Mahougnon ou au DEC ? » La réponse de Educ’Action : « Au Directeur des Examens et Concours, s’il est différent du Professeur Kakpo Mahougnon ! » Alors sans porter des gangs, il se mit à dire entre autres choses ceci : « vous n’aurez aucun rendez-vous. N’est-ce pas vous qui m’avez insulté tout le temps ? Vous vous prenez pour qui ? Je ne réponds à aucune question etc. » Educ’Action a tenté de le ramener à l’essentiel de notre préoccupation d’avoir sa part de vérité sur ce sujet tout en lui précisant que notre Journal n’a pas fait l’option du dilatoire. Educ’Action dit au DEC : « M. le Directeur, nous vous mettons au défi de sortir un seul journal Educ’Action où nous avons insulté votre personne. » En réponse, le DEC n’a pas trouvé mieux que de déclarer : « Allez-vous faire voir ailleurs ! » Puis, il raccrocha. Une telle position paraît d’autant plus incompréhensible que Educ’Action est le seul média imprimé hebdomadairement depuis bientôt 4ans au Bénin et entièrement consacré aux questions de l’éducation. Et dans un contexte où le Code de l’information au Bénin qui est une loi votée et promulguée par le Chef de l’Etat oblige les cadres de l’administration à faciliter l’accès aux sources d’informations à tous les citoyens qui le désirent et mieux, aux journalistes dans l’exercice de leur métier. Les articles 72, 73, 76,77 de cette loi 2015-07 du 22 janvier 2015, en disent long ! A y voir de près, le péché de Educ’Action est de continuer à fouiner malgré une conférence de presse de clarifications ! Mais comme les discours officiels n’engagent que ceux qui y croient, Educ’Action fait son travail dans le seul souci d’apporter une réponse édifiante aux populations qui doivent jouir de leur droit constitutionnel d’accès à une information vraie et équilibrée. Et puisqu’à Educ’Action, notre éducation nous permet de ne pas répondre à tout, nous avons poursuivi nos investigations pour découvrir qu’installé le 25 Avril 2016 manu militari, l’actuel DEC a fait brûler toutes les épreuves conçues par son prédécesseur, nettoyé l’écurie de la direction et fait venir de nouvelles personnes aux postes clés qui contrôlent la chaine du BEPC. C’est alors que dans la précipitation, les résultats ont donné ce que nous savons. Même si les cadres de la Direction Générale de l’Enseignement Secondaire disent que la polémique liée à une mauvaise application des coefficients n’était qu’un simple malentendu, ils sont unanimes à dire qu’une relecture de l’arrêté du BEPC est en cours dans le cadre des réformes de la législation scolaire. En effet, pour da-Matha Aquilin Gildas et Hubert Cakpo Yehoun, respectivement chef du service de l’organisation scolaire et de la prévision et chef du service de la formation et de la scolarité à la direction–Desg, « ce qui a été constaté a été un simple malentendu. Maintenant les dispositions sont prises pour qu’il y ait une clarification au cours de l’année scolaire à venir. Les initiatives sont déjà prises. Sans vendre la mèche, je dirai qu’il aura une note de service ou un arrêté pour préciser les choses. Le travail préliminaire a été fait et c’est surtout au niveau des séries ML, Moderne Long, que la précision sera apportée et tout le monde sera au même niveau d’information ». La question qu’on est en droit de se poser est la suivante : « si l’arrêté appliqué était si limpide et sans équivoque, pourquoi en faire aujourd’hui une relecture ? » N’est-ce pas pour cela que le Conseiller Pédagogique Chéou Jean, SG du syndicat des conseillers pédagogiques estime qu’« il y a un péché. Le péché, c’est que l’application qui a été faite de l’arrêté n’a pas été suffisamment vulgarisée. Même les censeurs, les directeurs se perdent. Maintenant, il ne faut pas que ça se répète. Il faut que les gens entendent véritablement raison. »
En somme, de cette enquête se dégage quelques leçons apprises à savoir :
1- Les coefficients inscrits sur les épreuves composées par les candidats relèvent de la responsabilité directe du DEC qui détient seul, la clé de la chambre noire. Ces coefficients ne sont pas en bonne intelligence avec l’arrêté de 2012.
2- Les relevés de notes affichent toujours première ou deuxième langue vivante alors que l’arrêté que le DEC dit avoir appliqué n’indique nulle part, l’existence d’une première ou d’une deuxième langue vivante pour le BEPC.
3- Dans certains cas détectés par les promoteurs d’établissements privés, les coefficients d’Anglais n’étaient que de 2 au lieu de 3 contrairement aux explications du DEC lors de sa conférence de presse au lendemain de la polémique.
4- Depuis les inscriptions des candidats au BEPC, aucune démarche de vulgarisation des nouvelles mesures n’a été entreprise pour signifier aux candidats, à leurs parents, aux chefs d’établissements publics et privés, les dispositions de l’arrêté querellé. Par ailleurs, la jurisprudence de l’application de cet arrêté depuis 2012 jusqu’à 2015 témoigne à suffire que la première langue vivante est coefficiée 3 et la deuxième langue 2.
5- Enfin la Direction de l’Enseignement Secondaire Général a trouvé la nécessité d’un toilettage des textes, preuve qu’une certaine ambigüité persiste.
Les autorités du système éducatif ont encore à apprendre avec la sagesse romaine que « errare humanum est. Perseverare diabolicum», en français on dira que « l’erreur est humaine certes, mais persévérer dans l’erreur est diabolique » !
Ulrich V. AHOTONDJI & Romuald D. LOGBO