Ils sont les auteurs des performances à peine passables au BEPC 2020. Selon le tableau des statistiques au plan national, dans tous les départements, ils sont derrière leurs camarades de la série MC dite scientifique. Les élèves et candidats de la série Moderne Long, littéraire, ont présenté des résultats inférieurs à ceux des années précédentes. Une contre-performance que votre journal analyse dans ce mini-dossier. Lisez plutôt
44,20% pour la série ML contre 54,08% pour la MC, soit environ 10% d’écart. Une contre-performance donc de la série ML contrairement aux résultats des années antérieures. Ce faible taux de réussite des candidats littéraires n’étonne guère Rodrigue Gounda, enseignant de français au CEG Davié à Porto-Novo. Il s’explique : « La série Moderne Long (ML) est devenue le refuge des élèves sans niveau. Cette année scolaire a été ma première année d’expérience en classe de troisième littéraire. Sur une trentaine d’élèves, seul un a eu sa moyenne annuelle. Aussi, ne suis-je pas étonné du résultat global faible des candidats de la série ML au BEPC 2020. Déjà à la correction, nous avons constaté une contre-performance de cette série par rapport aux candidats de la série Moderne Court (MC) pour les productions écrites en français. Cette situation s’explique par le fait que la plupart des apprenants de la série ML s’y sont retrouvés par incapacité intellectuelle que par vocation pour l’étude des langues. Etant donné qu’ils ont un faible niveau dans les matières scientifiques, et ne voulant pas arrêter l’école pour aller apprendre un métier, ils se réfugient en série littéraire, croyant pouvoir sortir leur épingle du jeu sans coup férir. Contrairement aux apprenants de la série MC qui s’appliquent dans leurs matières de spécialité bien coefficiées, les apprenants de la série ML négligent leur matière principale la plus coefficiée, le français ; cela rejaillit sur la performance dans les autres matières. » Blanchard Faboukon en poste au Ceg Vekky dans la commune de So-Ava ne dira pas le contraire. « Ils démissionnent en mathématiques. En français où ces élèves dits littéraires doivent encore porter et assurer leur identité de littéraire, on constate également qu’ils sont vides, un vide abyssal. Ils n’aiment pas la lecture, ils n’ont donc pas les armes minimales pour convaincre dans leurs productions les correcteurs. En histoire-géographie où il faut juste apprendre les leçons, les résultats sont aussi médiocres », a-t-il renseigné. Son collègue d’anglais Fidèle Hounénoukpo en service au Ceg Pénessoulou à Bassila, s’inscrit dans la même logique et martèle qu’en réalité, les apprenants de la série ML sont, pour la plupart, des « sans série. Ils ont un faible niveau aussi bien en science qu’en littérature. » Sur un autre plan, en ce qui concerne le BEPC 2020, ce dernier estime que « les épreuves ayant été très faciles, les apprenants se seraient certainement précipités sans faire attention à certaines nuances ».
Adieu la littérature de la phraséologie, place à la littérature de développement
« Du point de vue de la psychopédagogie des évaluations, ces résultats sont à analyser sous plusieurs angles. Les conditions de l’enseignement/apprentissage des matières en situation de classe sont-elles maximales ? Les épreuves respectent-elles les normes de l’évaluation ? Sont-elles au niveau de l’apprenant moyen ? La correction des copies respecte-t-elle les normes de la didactique corrective de l’écrit ? Voilà autant de facteurs qui conditionnent les résultats obtenus, croit savoir Jules Gandagbé, Docteur en science de l’éducation et enseignant à l’Ecole Normale Supérieure de Porto-Novo. S’accrochant aux statistiques des deux séries du BEPC 2020, il poursuit son analyse en ces termes : « mutatis mutandis, un regard projectif sur les résultats du BEPC 2020 présente un meilleur taux de réussite en MC qu’en ML. Cela pourrait s’expliquer par le fait que l’APC qui est l’approche en vigueur prône la compétence sous la trilogie : savoir, savoir-faire et savoir être. Tout enseignement/apprentissage qui ne finit pas par la capacité de la projection au nom du principe du transfert selon Lasnier, reste en l’étape de pure masturbation intellectuelle. L’ère de la phraséologie grandiloquente est révolue. Et en ce sens, comme nous avons l’habitude de le répéter pendant nos cours d’épistémologie, l’enseignement de la langue et de la littérature doit être praxéologique ou ne sera pas. C’est dire que la série littéraire doit désormais revêtir un manteau neuf et se rendre utilitaire sur le plan du développement complet de l’homme. Ce que font déjà les matières scientifiques. Vous verrez rarement organiser des travaux dirigés dans les matières littéraires. Ce qui doit interpeller les enseignants de ces matières sur l’utilité de leurs enseignements. Ces résultats montrent simplement que l’ère de la littérature pour la littérature est révolue et que nous avançons résolument vers la littérature du développement. » Car justifie-t-il, « pendant longtemps, nous avons enseigné la littérature pour la littérature, les belles Lettres. La phraséologie ostentatoire dans des discours dithyrambiques à caractère soporifique ne construit rien concrètement. Les ressources de langue installées doivent permettre à l’apprenant de réagir en situation concrète dans la vie active. Le subjonctif imparfait n’est pas appris pour être mémorisé et récité du bout des lèvres, mais pour être utilisé dans des situations de communication qui vous y obligent. Nous répétons que tout apprentissage doit aboutir à une compétence que l’enfant peut utiliser dans la vie réelle en dehors des livres. Nous sourions souvent lorsque sur des fiches pédagogiques, les enseignants proposent comme réponse attendue de l’apprenant à la capacité de la projection : tout ce que j’ai appris maintenant, je vais l’utiliser pour réussir les devoirs prochains. Il s’agit bien là d’une capacité qui doit aider l’apprenant à transférer au-delà de l’école, les compétences acquises en situation de classe. Et cela, nous ne le faisons pas assez. L’apprenant doit pouvoir utiliser les compétences acquises en classe pour résoudre des problèmes qu’il rencontrera dans la vie active de façon concrète. » Dr Gandagbé propose donc que les enseignants de matières littéraires se recyclent, en considérant ces nouveaux paradigmes sans quoi, ils finiront par perdre eux-mêmes le goût d’enseigner les matières littéraires après bien sûr leurs apprenants qui désaffectionnent déjà ces matières. Son jeune collègue Rodrigue Gounda, pour sa part, oriente ses suggestions de solutions vers les élèves et leurs parents. « Beaucoup de parents n’achètent même pas les œuvres aux programmes à leurs enfants jusqu’à songer leur faire un abonnement dans une bibliothèque de la place. Il faut que chacun prenne ses responsabilités. Même si la série ML est annoncée pour être supprimée, il reste important d’adopter des mesures pour promouvoir la maîtrise de la langue d’apprentissage sans laquelle les apprenants, peu importe la série, ne pourront assimiler les cours. La cause fondamentale des nombreux échecs en milieu scolaire, c’est la non-maîtrise de la langue d’apprentissage. Même l’être le plus intelligent sortirait inculte d’un cours déroulé dans une langue qu’il ne maîtrise pas assez ».
Esckil AGBO (Ouémé-Plateau)